Ma chère sœur,
Je ne sais pas ce qui m’arrive, ni pourquoi, ni comment… La vie me quitte, je la sens qui s’échappe de mes veines. J‘aurais cru que ça durerait plus longtemps, je pensais avoir le temps…
Par la lucarne, j’aperçois un morceau du ciel bleu de Paris et je sais que c’est la dernière fois.
L’épuisement m’envahit mais je ne peux me résoudre à partir sans t’avoir écrit ces quelques mots.
La vie n’a pas toujours été facile pour notre famille mais nous étions toujours là l’une pour l’autre, toi ma sœur, ma meilleure amie, ma confidente… Même loin l’une de l’autre, nous étions si proches. Je m’en veux de t’abandonner, tu vas tellement me manquer. Je suis heureuse d’avoir pu assister à ton mariage, Joseph est un homme bon et qui t’aime. Je sais que tu seras heureuse avec lui et qu’il prendra soin de toi.
Je n’en peux plus, la fièvre inonde mon corps et mon esprit, je me sens sombrer…
Embrasse bien fort la famille de ma part et pense à moi de temps en temps.
Je vous embrasse bien fort sur l’œil !
Ta sœur qui t’aime pour toujours.
Marie-Rose Richard (1893-1913)
Marie-Rose Richard était la sœur cadette de mon arrière grand-mère maternelle, Jeanne Richard, que nous appelions « Mémé ».
En discutant avec mes sœurs et mes cousines, je me suis rendu compte que personne de ma génération n’avait entendu parlé de cette sœur, décédée prématurément à l’âge de 20 ans, ni du mystère entourant cet événement. J’ai donc voulu raconter son histoire pour la faire sortir de cet oubli injuste…
J’ai choisi ce format de carte postale car ce n’est qu’à travers les cartes qu’elle envoyait à sa sœur ou par celles qu’elle a reçu que nous la connaissons. Mémé avait conservé religieusement ces échanges épistolaires mais ne parlait que très peu d’elle…
Marie-Rose Richard est née à Comblessac, le 19 février 1893, soit tout juste un an après mon aïeule. Elle a grandit au village de la Cocardais où leur père était tisserand. Elle était entourée de sa mère, de sa sœur aînée, Jeanne, de sa petite sœur, Marie-Joseph (de 4 ans sa cadette), et de son petit frère Joseph, né en 1901. La famille étant assez pauvre, les deux sœurs aînées ont travaillées assez jeunes : elles furent gardiennes de vaches, ramasseuse de châtaignes, de pommes ou de bois…
Puis, elles furent placées en tant que domestiques. Jeanne, dès l’âge de 14 ans, chez une couturière du bourg, Mme Le Blanc. Marie-Rose, elle, sera placée vers 17 ans à Binic, puis Rennes et enfin Paris où elle rejoint sa sœur en avril 1912.
Le 1er février 1913, elle assiste au mariage de sa sœur Jeanne avec Joseph Poirier à Paris.
(Elle est assise au deuxième rang, entre les mariés).
Le 11 décembre de cette même année, elle décède dans des circonstances inexpliquées… Elle a 20 ans, elle est en bonne santé et dans les cartes envoyées à sa sœur, rien ne laisse présager une maladie quelconque…
Mémé, qui était infirmière, dira par la suite qu’en voyant le corps à l’hôpital, ses pupilles auraient présentées des signes faisant penser à un empoisonnement. Mais rien n’a jamais étayé cette thèse et apparemment personne à l’époque ne s’est posé la question, il n’y a pas eu d’enquête…
Quelques années plus tard, Jeanne était à Comblessac lorsqu’une bohémienne a sonné à la porte pour demander l’aumône. En voyant le portrait de Marie-Rose sur le buffet, elle se serait exclamé : « cette femme est morte empoisonnée ! »
Nous ne saurons jamais ce qu’il s’est réellement passé. Nous ne pouvons que formuler des hypothèses :
Avait-elle une santé fragile ? Aucun indice ne le laisse supposer et il n’y avait aucun antécédent connu dans la famille. Peut-être simplement l’épuisement ? Cela semble possible lorsqu’on se documente sur le travail des domestiques à Paris dans les années 1900. (La domesticité aux 19è et 20è siècles)
Aurait-elle mangé un aliment toxique ? Peut-être un fruit ou autre chose…
Aurait-elle vu chez ses patrons quelque chose qu’elle n’aurait pas dû voir et aurait été empoissonnée…
Quoiqu’il en soit, je tenais à faire cet article afin de lui rendre hommage, et aussi pour mémé qui ne s’en est jamais vraiment remit.
Je suis toujours à la recherche d’informations supplémentaires, alors si quelqu’un a d’autres informations (sur ses employeurs, la condition de domestique à Paris en 1910, d’autres pistes à explorer), n’hésitez pas à me contacter.
Voici les différentes places où elle a travaillé et que j’ai pu recenser :
On sait qu’elle n’est placée que vers 17 ans grâce au recensement de 1906 où elle vit toujours chez ses parents.
1910 ou 1911 : Le 27/08/1910, elle écrit de Binic sans plus de précisions. Puis, l’été d’après, le 27/07/1911, elle écrit à nouveau de Binic en donnant à sa sœur son adresse chez M et Mme Legranvillais. (Nous ne sommes pas sûrs de savoir si cette famille habitait Binic ou s’ils y allaient régulièrement en vacances).
En octobre 1911 : chez M et Mme Huchet, au 1 rue Robin à Rennes.
En août 1912 : chez M et Mme Dastarac, au 19 rue Gazan dans le 14è arrdt de Paris, une rue jouxtant le Parc Montsouris. C’est là qu’elle décède le 11 décembre 1913. Elle sera enterrée au cimetière de Gentilly mais la tombe a été relevée depuis.
Sources :
Image : Pixabay.com
Signature « Rose » : Cartes postales envoyée par Marie-Rose
Photos : collection personnelle
« Je vous embrasse bien fort sur l’œil » : petite phrase qu’elle a écrit à la fin de plusieurs de ses cartes.