#RDVAncestral est un défi généalogique dans lequel, chaque troisième samedi du mois, nous sommes invités à imaginer la rencontre avec un de nos ancêtres, à une époque donnée. Aujourd’hui, je vous propose d’aller rencontrer une jeune mariée.

En cette froide journée de janvier, je viens d’allumer un feu dans ma cheminée, lorsque j’entends des bruits de conversation dehors. Je suppose que quelques voisins sont en train de discuter et j’attrape mon manteau pour les rejoindre. Lorsque je passe le pas de ma porte, je me retrouve sur une petite place que je ne connais pas. Je regarde autour de moi et comprend aussitôt que j’ai changé d’époque. Mais je ne sais ni où, ni quand je suis. Une petite foule est attroupée devant l’église. J’interroge une vieille femme qui se tient un peu à l’écart.
« – Que se passe t-il ?
– C’est la Françoise qui se marie » m’apprend-t-elle. Je me tourne alors vers l’église et aperçoit une femme enceinte d’une trentaine d’années, accompagnée d’une petite fille qui tient un bouquet. Je ne peux m’empêcher de penser que, soit, elle et son promis n’ont pas pu attendre le mariage, soit son « état » en est la raison. Alors que je suis dans mes pensées, la vieille femme émet un rire moqueur et, comme si elle avait lu dans mes pensées, me dit :
« – Ce n’est pas elle Françoise, c’est sa fille. » Je regarde alors l’assemblée en cherchant des yeux une jeune fille dont l’âge correspondrait mais ce n’est pas le cas. Je me retourne à nouveau vers la vieille qui me désigne l’enfant.
« – C’est la petite fille qui se marie ? Mais quelle âge a t-elle ?
– Juste l’âge [1], elle vient d’avoir 12 ans…
– 12 ans ! Et son mari ?
– Pierre ? Il a 22 ans…»
Nous sommes interrompu par l’arrivée du marié et du curé. La petite Françoise les rejoint sur le seuil de l’église et le curé commence en se tournant vers l’assemblée réunie :
« – Vous voulez entrer dans le saint état de mariage, et vous demandez qu’il soit confirmé devant la sainte église ? »
Pierre et Françoise répondent :
« – Nous le demandons. » Il continue alors :
« – Si quelqu’un connaît un empêchement au saint mariage entre ces deux personnes, il doit le dire, que ce soit un empêchement de consanguinité, d’alliance, d’affinité spirituelle, ou résultant d’autres promesses de mariage, ou tout autre empêchement. »
Comme personne ne répond, il joint les mains du couple et invite Pierre à s’adresser à Françoise :
« – Je te prends Françoise Rivière pour mon épouse », puis il dit à Françoise de répondre :
« – Et je te prends Pierre Bretagnolle pour mon mari. »
Alors Pierre remet un anneau à Françoise et le prêtre conclu :
« – Je confirme le mariage que vous avez contracté, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen. » Enfin il les asperge, ainsi que l’assistance, d’eau bénite.

 

Je les suis ensuite à l’intérieur de l’église où est alors célébrée la messe des mariés. Enfin, le curé accorde sa bénédiction aux époux. C’est le moment le plus solennel de la célébration. Pendant que le curé rédige l’acte de mariage, je contourne l’autel et me penche au dessus de son épaule. Nous sommes à Espartignac, petit village corrézien, le dernier jour de janvier 1769, donc, sous le règne de Louis XV.

En sortant de l’église, je suis éblouie par un rayon de soleil et je lève vivement ma main devant mes yeux. En la rebaissant, je me rend compte que je suis de retour chez moi. Je m’installe dans mon fauteuil et repense à cette cérémonie. Que pouvait ressentir cette enfant ? Je n’ose imaginer la suite de cette journée. Son mari a t-il exigé qu’il y ait eu une nuit de noces ? Cette idée me fait frémir…

Après une rapide recherche, je retrouve Françoise Rivière dans mon logiciel Hérédis.
Née le 17 décembre 1756 à Espartignac, elle était l’aînée de 3 enfants. Son père, Léonard était laboureur. Il est mort en 1763 alors qu’elle n’avait que 7 ans et sa mère, Antoinette Désaguilier, s’est remariée l’année suivante et a ensuite mit au monde cinq garçons entre 1765 et 1779.
Je suppose que le mariage de Françoise avec Pierre Bretagnolle était une alliance qui a permit à sa famille d’étendre ses possessions mais, heureusement pour elle, il semblerait qu’elle n’ait eu son premier enfant qu’à l’âge de 21 ans. Le nouveau « couple » s’est installé au village de Lagarde, probablement chez la mère et le beau-père de Françoise et j’aime à penser que ce mariage n’a donc pas été consommé avant quelques années.
Quoiqu’il en soit, Françoise et Pierre ont eu trois enfants : Pierre en 1777, Jean en 1779 et Antoine en 1782. Malheureusement, cette année-là vît l’anéantissement de la famille. Le petit Antoine né le 06 janvier est décédé à 4 mois, le 21 avril. Ses parents l’ont rejoint quelques mois plus tard : Françoise le 12 octobre, a seulement 25 ans, et Pierre 5 jours plus tard, à l’âge de 35 ans.

Leur fils aîné, Pierre, est mon aïeul. Lors de son mariage en 1797, ce dernier est dit vivant au lieu de Lagarde mais aucun témoin n’est de son côté donc il est difficile d’imaginer qui a pu l’élever…
Je me dis qu’un nouveau tour aux archives sera nécessaire pour en savoir plus, quand ma fille de 12 ans, qui rentre du collège, passe alors la porte. Je pense avec un frisson à quel point nous avons de la chance de vivre à notre époque…

 

Notes :
[1] Jusqu’à la Révolution, l’âge nubile était de 12 ans pour les filles, et 14 pour les garçons.